Aller au contenu principal

« Zéro Emission Nette » : le défi des ressources ?

En termes de géopolitique et de coûts, les matériaux deviendront-ils « Les nouveaux combustibles fossiles » ?

Obtenir cette analyse au format pdf

 

Ce mois-ci, nous avons voulu partager les résultats préliminaires de certaines recherches en cours sur la transition vers la neutralité carbone, ou zéro émission nette, et son impact sur les ressources matérielles dans les économies avancées. Cette recherche est dirigée par Patrick Criqui, chercheur senior émérite au CNRS et à l’Université Grenoble Alpes et membre du groupe d’experts d’Enerdata. Au vu du récent rapport du GIEC, le sujet ne pourrait pas être plus opportun.

Nous connaissons un effet évident de la transition énergétique : réduire la dépendance économique et géostratégique envers les combustibles fossiles. Mais ce n’est pas le seul résultat attendu. La dépendance augmentera vis-à-vis de certains matériaux critiques, notamment le lithium, le cobalt, les terres rares, le manganèse, le nickel et le cuivre. La demande accrue de matériaux de structure, tels que le ciment, l'acier et le verre, devra également être prise en compte.

 

Comprendre le contexte international

 

Les impacts quantitatifs globaux d'un avenir sans émissions nettes seront davantage liés aux changements dans les pays en développement et aux politiques internationales à travers le monde qu'à ceux des politiques nationales d'une économie avancée.

La réduction de la demande d’énergies fossiles entraînera probablement une baisse de leurs prix internationaux (en ignorant les éventuels changements cycliques et stratégiques des producteurs - qui n'auront probablement pas d'effets à long terme - et tout changement géopolitique majeur).

Le problème fondamental des matériaux réside donc dans l'atténuation de la dépendance des matériaux critiques de plusieurs régions pas nécessairement stables, par exemple : le Chili pour son lithium, la République démocratique du Congo pour son cobalt et la Chine pour ses terres rares. Certains spécialistes sont allés jusqu'à demander si nous nous dirigions vers une guerre pour des ressources matérielles1.

Pour évaluer ces risques, il faut prendre en compte trois facteurs distincts, chacun constituant une possibilité indépendante :

  1. L’étude des marchés à long terme des matières premières montre que les déséquilibres cycliques offre/demande disparaissent lorsque la tension du marché induit une flambée des prix et conduit au développement minier de gisements moins facilement accessibles (c’est-à-dire des gisements moins concentrés, plus difficiles à atteindre et nécessitant des technologies minières avancées entrainant une exploitation plus onéreuse). Ces hausses de prix entraînent souvent des avancées techniques, qui se diffuseront dans l’industrie et pourraient même provoquer des contrecoups. (Les exemples abondent dans l'industrie pétrolière, des forages en mer dans les années 1970 aux schistes bitumineux dans les années 2010).
  2. Dans le même ordre d'idées, si la transition énergétique continue de prendre de l'ampleur, elle stimulera les progrès et les effets d'apprentissage des technologies à faibles émissions de carbone, ce qui permettra de réduire les matériaux et l’énergie nécessaire pour un équipement donné. Telles sont les conclusions notables de plusieurs études2.
  3. Pour les matériaux critiques rares, qui seront utilisés en plus grande quantité, le recyclage jouera probablement un rôle important, comme c'est déjà le cas pour certains matériaux de structure, tels que l'acier ou le verre.

Certains économistes des ressources naturelles, tels que Jeffrey Krautkraemer3, suggèrent que la prise en compte de toutes ces évolutions potentielles conduit à un paradoxe : alors que les ressources naturelles renouvelables sont menacées d'épuisement dû à la surexploitation, les ressources non-renouvelables sont protégées par les mécanismes économiques de prix et de marchés. Cela pourrait être vrai au moins jusqu'en 2050, mais au-delà, la stabilisation de la demande pourrait devenir essentielle.

 

Figure 1: Les énergies renouvelables dans la consommation totale d’énergie des pays de l’OCDE pourraient atteindre entre 24 et 42% - selon la vigueur des politiques en matière d’énergie renouvelable

Renewables in Total Energy Consumption for OECD Countries EnerBlue scenario

Définition du scénario EnerBlue :

Le scénario EnerBlue, extrait de l’outil de modélisation EnerFuture d’Enerdata, explore un monde dans lequel les politiques climatiques actuelles sont renforcées pour atteindre les objectifs décrits dans les contributions nationales des pays (NDC).

Renewables in Total Energy Consumption for OECD Countries EnerGreen scenario

Définition du scénario EnerGreen :

Le scénario EnerGreen, qui fait également partie de l’outil de modélisation EnerFuture d’Enerdata, envisage un monde dans lequel des efforts environnementaux importants sont déployés, menant à des volumes d’émissions de carbone compatibles avec une augmentation de la température de 2° C d’ici 2100.

 

Conséquences sur les ressources énergétiques et matérielles

 

La baisse attendue des prix des énergies fossiles (bien que difficile à prévoir car elle résulterait du calendrier et de l'intensité des politiques de décarbonisation au niveau mondial), combinée à la réduction de l'utilisation et des importations des énergies fossiles (tendance toujours proche de zéro dans les pays en transition), devrait conduire à une réduction massive des dépenses et de la dépendance en énergie de nombreux pays.

 

Figure 2: Dans le scénario EnerGreen, la dépendance énergétique - le pourcentage d'énergie importée - pourrait diminuer, mais la variance régionale resterait importante

energy dependency

Source: Enerdata, EnerFuture (Scénario EnerGreen)

 

Mais ces réductions seront-elles effectivement annulées par une augmentation des dépenses, des importations et une dépendance accrue pour les matériaux stratégiques ?

La réponse dépendra de deux facteurs:

  • Tous les efforts déployés pour développer les ressources minières nationales - avec tous les problèmes d’acceptabilité sociale associés à une telle tâche. Ces risques renforceront la nécessité de politiques de recyclage fortes.
  • Le développement et le renforcement des capacités industrielles dans les pays importateurs d’énergies fossiles, pour la fabrication d’équipements pour les énergies renouvelables, le stockage de l’électricité, la production ou la conversion d’hydrogène. Sans ces capacités, la dépendance à l'égard des ressources primaires se transformera simplement en une dépendance à l'égard des équipements industriels.

 

Conséquences sur les politiques et les décisions à court terme

 

Dans la transition des énergies fossiles vers les technologies à faibles émissions de CO2, les priorités stratégiques sont l'économie circulaire et le recyclage des ressources matérielles - qui ne jouent aucun rôle dans l'économie énergétique basée sur les énergies fossiles.

Par conséquent, les politiques de recherche, de développement et d’innovation pour les technologies à faibles émissions de CO2 doivent tout d’abord développer les capacités industrielles nécessaires au développement des équipements correspondants, puis maîtriser les domaines des matériaux et du recyclage, et éviter les goulots d’étranglement de ces systèmes.

La question de savoir si et dans quelle mesure développer les ressources nationales et le potentiel d’exploitation de ressources étrangères doit être examinée sous cet angle : comment éviter de devenir dépendant de ressources étrangères coûteuses et non fiables pour des matériaux critiques alors que nous dépendons actuellement de ces ressources pour les énergies fossiles ?

 

Sources de Recherches Sélectionnées

 

1 « The War Over Rare Metals », livre de Guillaume Pitron, publié en janvier 2018. Extrait disponible ici : https://lemde.fr/2QIjfgG

2 «Deriving life cycle assessment coefficients for application in integrated assessment modelling », article de recherche publié dans la revue Environmental Modeling & Software, en janvier 2018. Disponible ici : https://bit.ly/2ONK416

3 « Economics of Natural Resource Scarcity: The State of the Debate », par Jeffrey Krautkraemer. Publié par Resources for the Future en avril 2005. Disponible en intégralité ici : https://bit.ly/2qNI9Aa

Obtenir cette analyse au format pdf