Alors que de nombreux pays délaissent le charbon, d’autres l’adoptent ou en ont de plus en plus recours
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Ce mois-ci, nous examinons l’avenir du charbon en tant que source d’électricité dans le monde et ses conséquences pour le réchauffement climatique, avec un article de Carine Sebi, professeure experte en économie de l’environnement et de l’énergie à Grenoble Ecole de Management. ou GEM) et Bruno Lapillonne, directeur scientifique et co-fondateur d’Enerdata.
Quelles sont les tendances mondiales de la consommation de charbon dans le mix électrique et comment les expliquer ? Quelles sont les perspectives à court et à moyen terme et seront-elles suffisantes pour faire face à la transition énergétique ?
Selon les statistiques d'Enerdata, la consommation1 mondiale de charbon a augmenté en 2017, après trois années de légère baisse2. Cette tendance est inquiétante car, malgré la prise de conscience croissante au niveau international sur les dangers du réchauffement climatique liés aux émissions de gaz à effet de serre, certaines grandes économies ne sont pas en mesure de remplacer l’électricité produite à partir de charbon par des énergies moins carbonées. En effet, le charbon, principalement utilisé pour la production d'électricité3, émet généralement deux fois plus de CO2 que le gaz naturel4, son principal concurrent.
Depuis 20 ans, le charbon domine la production d’électricité
Au niveau mondial, la consommation de charbon utilisée pour produire de l’électricité croît presque au même rythme que la consommation d'électricité (2,8%/an contre 3%/an entre 2000 et 2017). Ainsi, la part du charbon dans le mix énergétique reste de l’ordre de 40% et n’a diminué que de deux points depuis 2010 (Figure 1) - et le charbon reste la source d’énergie la plus utilisée pour produire de l’électricité dans le monde.
Figure 1 : Des gains significatifs à l'Ouest presque totalement compensés par l'augmentation du charbon dans d'autres pays
Source: Enerdata, Global Energy and CO2 Data
De plus près, on observe des tendances opposées au sein des plus grandes économies du monde : les efforts et les promesses d’une majorité de pays qui sortent progressivement de l’utilisation du charbon sont mis à mal par un certain nombre de pays qui augmentent la part du charbon dans leur mix électrique. C’est le cas en particulier des grands pays producteurs de charbon tels que l’Indonésie (58% de l’électricité produite à partir de charbon, +18 points de progression entre 2010 et 2017), la Turquie (33%, +7 points) et l’Inde (75%, 7 points, comme indiqué à la figure 1 ci-dessus). L'Inde est en effet le deuxième producteur mondial de charbon après la Chine, avec d'importantes réserves de charbon. Le développement des énergies renouvelables et la mise en service de centrales électriques au charbon plus efficaces en Inde ne sont pas suffisants pour absorber la croissance de la demande d’électricité, qui augmente en moyenne de 7%/an depuis 2005.
D'autres pays cherchent à diversifier leur mix énergétique et recourent de plus en plus au charbon pour produire de l'électricité: la Malaisie (45%, +10 points), le Chili (37%, +9 points), la Corée du Sud (46%, +2 points) et le Japon (33%, +6 points). Ces pays dépendent du charbon pour plusieurs raisons : en plus d’être souvent une source d’électricité moins chère, le charbon leur permet d’acquérir une indépendance énergétique vis-à-vis de pays producteurs de pétrole et de gaz, tout en limitant les effets de la volatilité des prix des hydrocarbures sur leur économie. Faute de ressources nationales en combustibles fossiles, le Japon est l’un des plus grands pays importateurs de pétrole, de gaz naturel et de charbon. Entre 2011 et 2015, la part du charbon dans la production d'électricité japonaise a considérablement augmenté pour faire face à la fermeture des centrales nucléaires suite à l'accident de Fukushima.
Enfin, certains pays disposant de réserves nationales de charbon ou de lignite, tels que les Philippines (50%, +15 points) ou le Vietnam (34%, +14 points), développent cette ressource pour produire de l'électricité et améliorer leur indépendance énergétique.
À l'inverse, la part du charbon dans le mix électrique a fortement diminué dans la plupart des pays de l'Union européenne, ainsi qu'en Chine et aux États-Unis. Pour lutter contre le réchauffement climatique, les pays de l'UE réduisent considérablement l'utilisation de ce combustible (21%, -10 points depuis 2000). Cependant, le charbon conserve une place considérable dans le mix électrique de certains pays producteurs de charbon et de lignite de l'UE, comme la Pologne (78%), la République tchèque (49%) et l'Allemagne (39%), quoiqu’en forte baisse.
La Chine – qui est de loin le pays qui consomme le plus de charbon dans le monde pour produire son électricité, met en place des politiques environnementales et énergétiques restrictives sur l’utilisation du charbon (68 %, -10 points) pour améliorer la qualité de l’air et contribuer aux efforts de lutte contre le réchauffement climatique.
Les États-Unis qui, comme la Chine, est un gros pays producteur de charbon, a significativement réduit l’importance de cette source d’énergie dans son mix électrique (31%, -15 points), mais pour d’autres raisons : le développement et l’abondance du gaz de schiste.
Capacité croissante des centrales au charbon dans le monde
Au niveau mondial, la capacité des centrales au charbon, a augmenté de 1 000 GW depuis 2000 et de 500 GW depuis 2010 (Figure 2). Cette augmentation est principalement due aux ajouts effectués en Chine (+850 GW depuis 2000, soit 80% de la variation globale) et dans une moindre mesure en Inde (+150 GW depuis 2000). La baisse importante enregistrée aux États-Unis et dans l'Union européenne (-80 GW au total, soit près de 40 GW chacun depuis 2000) a été compensée par des augmentations au Japon, en Corée et en Turquie (+70 GW dont 40 GW au Japon).
Figure 2 : Variation de la capacité des centrales au charbon en GW
Source : Enerdata, Global Energy & CO2 Data
Les pays qui se tournent vers le charbon
Plus surprenant encore dans un contexte de lutte généralisée contre le changement climatique, une vingtaine de pays se tournent vers le charbon (dont neuf en Afrique, trois en Amérique centrale, deux au Moyen-Orient et trois en Asie). D'ici 2025, plus de 65 centrales au charbon pourraient être mises en service dans ces pays, ce qui représente une capacité de 50 GW. La plupart de ces pays n'ont pas de ressources en charbon à l'exception du Bangladesh et de la Tanzanie. Ils développent leurs projets principalement avec des financements indiens ou chinois, les grands organismes de financement internationaux ne soutenant plus ce type de projet.
Figure 3 : Pays introduisant des centrales au charbon pour la première fois1
Source : Enerdata, Power Plant Tracker
1 Projets charbon en construction ou planifiés.
Et à plus long terme ?
Les projections du service de prospective énergétique et climatique long terme EnerFuture s’avèrent moyennement optimistes, indiquant que d’ici 2040, la part du charbon dans le mix énergétique au niveau mondial ne devrait diminuer que de 10 points dans le scénario EnerBlue (dans lequel la demande mondiale augmente, mais la demande et les émissions de CO2 doivent respecter les objectifs de l’Accord de Paris) (voir figure 4). Conformément aux programme «Énergie propre pour tous les Européens», l'Union européenne, qui vise la neutralité carbone d’ici 2050, est sur la bonne voie, malgré la réticence de la Pologne qui souhaiterait subventionner ses centrales charbon au-delà de 2030. La Chine, l’Inde et l’Indonésie - où l’électricité est produite principalement à partir de charbon - réduiront considérablement la part du charbon dans leur mix électrique, mais ne descendront pas au-dessous de 35%, en raison de l’abondance des réserves nationales de charbon et de la compétitivité économique de ce type de centrale électrique (hors taxation carbone).
Figure 4 : L’évolution du charbon dans le mix électrique reflète différentes politiques selon pays
Source : Enerdata, POLES Model, EnerFuture (EnerBlue Scenario), January 2018
En conclusion
L’augmentation constante de la part de l’électricité dans la consommation finale, conséquence du développement de certaines économies émergentes et de la diffusion de nouveaux usages de l'électricité (telles que la mobilité électrique), devrait assurer une hause de la demande en électricité à court et à moyen terme. Si les plus grands pays du monde ne mettent pas en place les solutions pour remplacer le charbon par une énergie "plus verte", il sera extrêmement difficile de maintenir le réchauffement climatique dans des limites acceptables. Cela nécessitera non seulement d’arrêter de construire de nouvelles centrales au charbon, mais également de mettre en œuvre des programmes radicaux pour fermer les centrales existantes - comme cela est déjà prévu dans la plupart des pays de l'UE, y compris très récemment en Allemagne. Une autre interrogation concerne l'impact des projets de l'administration américaine actuelle, qui promeut le développement du charbon en supprimant les normes environnementales existantes pour les centrales au charbon.
Le défi qui reste à relever concerne principalement les pays à la fois gros producteurs et consommateurs, tels que la Chine et l’Inde, qui tentent de réduire leur dépendance à ce minerai. La question reste alors de savoir si ces efforts seront suffisants, dans la mesure où l’enthousiasme suscité par le charbon (abondant, facile à transporter et à bas prix) pousse actuellement certains pays à se tourner vers ce combustible pour développer leur mix électrique.
1 Tout au long de ce texte, la consommation de charbon inclut le lignite.
2 Selon le service Global Energy and CO2 Data d’Enerdata, la consommation de charbon et de lignite a augmenté de 0,7% en 2017 après une réduction de 1,5%/an entre 2013 et 2016. Cette tendance est confirmée par un rapport récent publié par l'Agence Internationale de l'Energie en décembre 2018.
3 Au niveau mondial, les deux tiers du charbon sont utilisés pour produire de l’électricité (trois quarts en excluant la Chine et l’Inde, où le charbon a traditionnellement une utilisation plus large). La majeure partie de ce qui reste est utilisée par l’industrie, principalement pour produire de l’acier (environ 50%-60% de celui-ci).
4 Avec une efficacité similaire, la différence est de 70%, mais les centrales au gaz étant beaucoup plus efficaces, la différence par kWh produit est plus importante et atteint un facteur 2.