Un choc plus fort que la crise pétrolière de 1975 – la situation en France
Obtenir cette analyse au format pdf
Ces derniers jours, la crise sanitaire due au coronavirus a obligé les entreprises à fonctionner au ralenti et les gens à rester chez eux pour travailler, ce qui a entraîné une baisse importante de la consommation finale d'énergie. Dans cette analyse, nous examinons la situation en France.
Sur la base des premières estimations macroéconomiques disponibles et des enseignements tirés d'autres périodes de crise, nous estimons que l'impact de deux mois de confinement sur la consommation finale d'énergie en 2020 en France aurait un effet supérieur à celui observé lors de la dernière crise financière en 2008 ou du premier choc pétrolier de 1975.
Dans cet article, nous résumons les principaux scénarios sur l'évolution de la consommation d'énergie en 2020. Cette analyse a été préparée par Morgan Crenes, responsable du département Market Research d'Enerdata, et Carine Sebi, professeure et coordinatrice de la Chaire "Energie pour la société" à Grenoble Ecole de Management.
Une économie au ralenti signifie des secteurs qui consomment moins d'énergie
Selon les dernières prévisions de l'INSEE, l'activité économique pendant cette période de confinement est d'environ 65% du niveau normal en France, ce qui se traduira par une baisse record de la consommation d'énergie dans les secteurs industriel, tertiaire et des transports. Sur la base de ces chiffres, nous estimons une baisse de la consommation d'énergie de -35% dans les secteurs tertiaire et industriel et une baisse de 80% du trafic de passagers. Compte tenu du maintien de la chaîne logistique pour les marchandises, nous supposons que la consommation ne changera pas pour le trafic de marchandises ou l'agriculture.
Le secteur résidentiel connaît une augmentation significative de la consommation d'énergie (estimée à environ 15 %), car une grande partie de la population doit rester à la maison et a donc besoin de plus de chauffage, d'éclairage, d'utilisation d'appareils électriques, etc.
Ainsi, l'évolution de toutes ces activités a conduit à une baisse de 15 % de la demande d'électricité (tous secteurs confondus) en mars en France, comme l'a confirmé RTE, le gestionnaire du réseau français.
Dans notre analyse complémentaire, nous estimons l'impact du coronavirus sur la consommation finale d'énergie à l'horizon 2020.
Quatre scénarios élaborés en fonction de la durée du blocage et de la vitesse de la reprise économique
Depuis le début de la crise sanitaire, il est difficile de connaître la durée du blocage, qui est actuellement censé durer deux mois. Mais il est encore plus difficile d'évaluer son impact sur la croissance économique.
Au début de la crise, le projet de loi de finances rectificatif établissait l'hypothèse d'une baisse de 1 % du PIB en 2020, dans l'hypothèse d'une reprise économique rapide. Quelques jours plus tard, cette estimation a été révisée et "sera certainement beaucoup plus élevée" selon le ministre français de l'économie et des finances, Bruno Le Maire, qui "ne croit pas à la baguette magique" de la fin de la crise. Le gouvernement français a annoncé le 14 avril dernier une baisse de 8% du PIB en 2020 par rapport à son niveau de 2019.
Ce qui est sûr, c'est que la baisse de l'activité dépendra de la durée du blocage. Nous avons donc établi quatre scénarios en fonction (i) de la durée du blocage qui devrait durer au moins deux mois après la déclaration du président Macron le 13 avril, et (ii) de la vitesse de reprise de l'économie qui pourrait être rapide ou plus lente, comme indiqué par le ministre français de l'économie. Concernant cette dernière hypothèse, nous établissons que l'impact macroéconomique d'une reprise plus lente de l'économie inclurait à la fois un choc à court terme et un taux de croissance plus lent pour le reste de l'année 2020, comme observé lors de la dernière crise financière.
Table 1: Quatre scénarios de choc du PIB
Source: Enerdata from INSEE
Une baisse de la consommation d'énergie supérieure à celle du premier choc pétrolier dans le cas le plus probable
Sur la base de nos quatre scénarios et des statistiques Enerdata, nous évaluons l'impact de la crise sanitaire sur la consommation d'énergie en France pour l'année 2020.
Dans le scénario 1, selon lequel le blocage serait limité à deux mois et la reprise économique serait rapide et immédiate, la consommation totale d'énergie diminuerait de 4,6 % par rapport à ce que nous observerions sans la crise sanitaire en 2020. Si la reprise économique était plus lente après deux mois de blocage (scénario 3), l'impact serait plus prononcé et la baisse de la consommation d'énergie (-9,2%) serait plus importante que celle observée après le premier choc pétrolier de 1975.
Si le blocage dure trois mois, les effets seraient multipliés et, dans le pire des cas (scénario 4), la consommation finale d'énergie en France diminuerait de 11,5%, une baisse sans précédent au cours des 50 dernières années
Figure 1: Impact sur la consommation finale d'énergie par rapport à un scénario sans crise sanitaire en 2020, et évolution de la consommation finale corrigée du climat en France lors de la crise financière de 2008 et du choc pétrolier de 1975
Source: Enerdata, Global Energy & CO2 Data
L'épidémie va également réduire les émissions de CO2.
Si l'on suppose que la teneur en carbone de l'énergie consommée reste la même qu'en 2019, alors les émissions de CO2 liées à l'énergie en France diminueront également, entre -9,9 % (selon le scénario 3) et jusqu'à -12,6 % (selon le scénario 4) en 2020.
Toutes ces estimations doivent évidemment être prises avec beaucoup de prudence et représentent un premier ordre de grandeur de l'impact du coronavirus sur la consommation d'énergie en France.
Beaucoup s'accordent à dire qu'une fois la crise passée, on assistera à un effet de rebond en 2021, la consommation repartant à la hausse et annulant la tendance de 2020. Rendez-vous en 2021 pour un bilan plus approfondi !